Afin d’illustrer l’article précédent sur les open spaces et le flex office, je vous propose dans cet article de revenir sur 3 situations de travail observées au cours de mes interventions en lien avec la qualité de vie au travail et l’accompagnement des changements : deux en open space « traditionnels », avec des places attitrées, et une en open space fonctionnant en flex office (pas de place attitrée).
Mes interventions n’étaient pas centrées sur ce sujet en tant que tel, mais cet élément de l’environnement de travail s’est avéré systématiquement déterminant sur l’organisation et les conditions de travail, que ce soit à un niveau collectif ou individuel.
Etude de cas 1 : une équipe en situation de tensions relationnelles
La demande : cette équipe d’une dizaine de personnes assure la gestion administrative d’un établissement public. Je suis contactée en lien avec des tensions relationnelles qui perturbent le bon fonctionnement de ce collectif.
Le diagnostic met en évidence un historique dans les relations ayant conduit à cette situation de crispation, et mon hypothèse est que le fait d’être en open space a contribué d’une part à la survenue des tensions et d’autre part à la cristallisation actuelle.
L’historique des relations professionnelles
A l’arrivée dans cet espace de travail unique, les salariés ont choisi une disposition des bureaux « en cercle », de telle sorte que « tout le monde voyait tout le monde ».
Le climat de travail au début de cette configuration était très détendu, avec beaucoup de relations informelles, et au sein de l’espace une ambiance un peu « potache », de la familiarité, des blagues …
A un moment donné, l’équipe s’est divisée sur un sujet personnel concernant l’une des salariées, qui n’avait rien à voir avec le travail. A partir de là, les relations se sont dégradées, avec des clans, des personnes se retrouvant en situation d’isolement.
Lorsque je suis intervenue, l’ambiance était effectivement glaciale ; souvent les gens en open space se plaignent du bruit, là les salariés se plaignaient au contraire du silence dans cet espace où l’on pouvait entendre les mouches voler.
En quoi la configuration en open space a contribué aux tensions relationnelles
Cet espace de travail en open space rend tout visible en permanence : les personnes, leurs comportements … Ainsi, des tensions qui au départ ne touchent que 2 ou quelques personnes se diffusent à l’ensemble et entrainent la « nécessité contrainte » de prendre position pour l’un ou l’autre.
D’autre part, un espace partagé nécessite des règles partagées, ne serait-ce que sur la climatisation, le chauffage, l’ouverture des fenêtres, qui en l’occurrence dans cette situation ne sont pas instaurées, puisque l’on compte sur « le bon esprit » de départ de cette équipe.
Une fois les tensions avérées, le fait d’être en relation visuelle toute la journée avec des collègues de travail avec qui on ne s’entend plus, à qui on ne parle plus, est à l’origine d’un vécu très désagréable de sa situation de travail, voire peut avoir des conséquences sur la santé (par exemple sur des personnes déjà en fragilité sur le plan psychique).
Des travaux de chercheurs expliquent en quoi l’open space est contraire à certains besoins des individus et éclairent cette situation : « Le contrôle visuel induit par l'open space est plus pesant encore que les difficultés de voisinage : "Sur un plateau, les salariés travaillent en permanence sous l'œil de leurs collègues et de leurs chefs. Or […] il faut, dans une journée de travail, pouvoir, de temps en temps, prendre de la distance, souffler, […]. Dans un open space, c'est impossible […]. » (Danièle Linhart, sociologue du travail).
Etude de cas 2 : une personne en situation de handicap auditif en open space
Je suis contactée par cette entreprise dans le cadre du maintien en emploi de l’un de ses salariés en situation de handicap auditif ; il est demandé dans ce cas d’apporter un conseil sur les aménagements à mettre en place pour que le salarié exerce son activité dans des conditions satisfaisantes du point de vue de sa santé et de la performance.
Les prothèses auditives : avantages et inconvénients en situation de travail
Monsieur B. est dans l’entreprise depuis plusieurs années, et son handicap auditif de plus en plus prégnant l’a amené à être équipé de prothèses auditives.
Grâce à elles il entend de façon satisfaisante, mais dans certaines conditions il est gêné pour réaliser son activité.
Cela vient du fait qu’une prothèse auditive remonte le niveau du son environnant, et là où l’oreille humaine est en mesure de mettre à distance certaines sources sonores « gênantes », un appareil est bien moins performant ; par exemple, lorsque l’on s’adresse à quelqu’un au milieu d’une foule, nous allons réussir à nous concentrer sur la parole de notre interlocuteur (« effet cocktail party »), ce qui est beaucoup plus difficile pour une personne appareillée.
Ainsi, les personnes appareillées que j’ai rencontrées se disaient beaucoup plus sensibles aux bruits environnants.
Les contraintes sonores dans l’open space
Ces caractéristiques physiologiques et techniques rendaient la situation de Mr B. difficile en open space lorsque les situations suivantes se produisaient :
- Des réunions informelles de collègues à proximité de son bureau,
- Des appels téléphoniques reçus par ses collègues,
- Les flux de personnes dans l’open space,
- Le bruit des machines (photocopieuses, machine à café …).
Tout ce qui potentiellement est source de gêne pour une personne non appareillée devenait un réel problème pour cette personne en situation de handicap.
Etude de cas 3 : un service commercial en flex office
Cette agence appartenant à un grand groupe, suivant les orientations nationales, passe en flex office : la dizaine de commerciaux exerçant dans l’agence n’occupe plus des bureaux individuels, mais un espace de travail partagé avec la manager de l’équipe, sans place attitrée (chacun a une mallette avec ses effets personnels).
J’interviens alors que cette organisation vient juste de se mettre en place, aussi ce sont les premiers ressentis que je décris ci-dessous.
Les avantages observés
Les personnes interrogées apprécient toutes de pouvoir mieux coopérer, avoir la réponse aux questions qu’ils se posent facilement en se tournant vers leurs collègues ou leur manager. Cela permet d’avoir une vision même un peu superficielle de l’ensemble des sujets en cours de traitement dans l’agence, ce qui en cas d’absence d’un collègue s’avèrera fructueux du point de vue de la qualité de service au client.
La manager apprécie également de pouvoir avoir un lien rapproché avec l’ensemble des collaborateurs.
Les inconvénients du travail en flex office
De premiers questionnements apparaissent : selon quels critères choisir son bureau le matin ? Le premier arrivé choisit sa place ?
Ensuite je m’attendais à ce que les nuisances sonores apparaissent comme le problème n°1, or ce sont davantage les interruptions de tâches générées par la sollicitation des collègues, en particulier pour la manager, qui perturbent l’activité de travail et rendent moins efficaces. La possibilité est donnée de s’isoler dans un bureau, mais au moment de l’étude cette possibilité était encore peu utilisée.