Je propose dans cet article une synthèse des propos de Michel Héry, chercheur à l’INRS, recueillis lors de l’université d'été pluridisciplinaire sur « Travail et Innovations » qui s’est tenue à Bordeaux du 2 au 6 juillet 2018.
En France, l’emploi est la question centrale, structure les relations sociales, les élections. Il est donc naturel de s’intéresser aux conséquences de la robotisation sur l’emploi. L’INRS a réalisé une étude prospective sur ce sujet, présentée par Michel Héry lors de la conférence du 4/7/18 intitulée « La prévention des risques professionnels comme outil d'intelligence dans un monde du travail transformé par les nouvelles technologies ».
En quelques lignes voici ce que j’en ai retenu.
Les robots : effets sur l'emploi et le travail
Les chiffres de certaines études sont alarmants, par exemple selon une étude américaine, 50% des emplois seront impactés par les nouvelles technologies, mais d’autres sont plus optimistes : 10% selon l’OCDE.
Or selon les économistes, depuis que les sociétés sont industrielles, on a toujours imaginé quels emplois disparaitraient, mais on a toujours été incapables de voir quels emplois allaient apparaitre. Or à aucun moment l’emploi n’a décru au cours des 150 dernières années : on peut donc considérer assez sereinement cette question !
Quelques éléments de réflexion :
- A chaque fois que l’on introduit un robot pour 1000 personnes, cela entraîne la destruction de 3 emplois sur 1000, et de 0,2% de baisse de salaire ;
- La robotisation est très favorable à la prévention des risques professionnels, cela permet d’avoir des assistances au travail notamment pour les travailleurs vieillissants (exosquelette).
- Toutefois, si la robotisation est favorable aux travailleurs vieillissants, elle permet aussi d’augmenter la cadence de travailleurs plus jeunes ; avec cette course entre les entreprises, le travailleur arrivera à 55 ans dans le même état de santé que son père, aussi l’exosquelette aura seulement servi à gagner plus d’argent ; ce travailleur aura vu sa carrière pilotée par un robot d’assistance physique, ce qui tant du point de vue physique que psychologique ne sera pas neutre.
Aussi selon Michel Héry, la question sociale de la répartition de la plus-value, du contrôle social par les travailleurs, les employeurs, et la société toute entière, est fondamentale.
La question des robots interroge aussi le rapport à l’espace de travail : demain le robot va travailler dans le même espace que l’homme. Sur ce sujet les Allemands ont proposé d’étudier le rapport robot / hommes, la gestion des espaces , en particulier dans le cas où un robot heurte un homme, en posant un cadre normatif pour protéger la sécurité des travailleurs.
L’intelligence artificielle : un exemple, l’algorithme Foundry
Cet algorithme permet de faire travailler de nombreuses personnes sur un projet, sans frontière, sans tenir compte ni du jour ni de l’heure.
Un chef de projet analyse le projet, et l’algorithme détermine les principales tâches à effectuer rapidement. Les capacités de l’intelligence artificielle permettent ensuite de piocher dans des bases de données de CVs et de les classer par ordre de compétences. Celui qui est en haut de la liste reçoit un mail, avec une tâche à faire qui dure entre entre 1 et 5 h ; une fois la tâche réalisée, l’exécutant est payé par Paypal. Un des critères de sélection est la capacité à réaliser la mission dans l’immédiat, le cas échéant l’algorithme passe au suivant dans la liste, aussi chaque poste est pourvu en 12 à 15 minutes !
Il est proposé de faire une évaluation par l’exécutant, des conditions de réalisation de la tâche une fois celle-ci accomplie : qualité des données d’entrée, méthodes proposées, etc.
Avec ce système, chacun des produits fabriqués a été jugé comme de qualité supérieure à la moyenne des produits équivalents sur le marché.
Impact sur la santé au travail
Toutefois Michel Héry dans son analyse prospective souligne les nombreuses questions que pose ce type de système :
- Quelle protection sociale ?
- Quelle possibilité de déconnexion si c’est le revenu principal ?
- Comment appréhender l’activité dans de bonnes conditions avec cette vision parcellaire des tâches ?
- Quid des collectifs ?
- Quelle porosité hors travail ?
Sa démonstration permet de montrer que l’automatisation concerne aussi les « cols blancs ».
Revenant sur le succès des plateformes comme « Uber », « Deliveroo », le conférencier rappelle qu’en termes de santé et sécurité ces plateformes n’ont aucun outil pour améliorer les conditions de travail. Par exemple, lorsqu’il neige, un cycliste livreur de repas travaille beaucoup, car les gens ne sortent pas, tandis que pour lui les conditions de travail sont les plus mauvaises. Néanmoins l’algorithme n’en a cure et l’évaluation du temps de trajet ne tient pas compte de ces aléas.
En conclusion, Michel Héry souligne que la santé au travail se construit dans le travail réel, en mobilisant les collectifs, associant de nombreuses disciplines, préférant les mesures de prévention collectives à un individualisation des conditions de travail.