Le harcèlement moral apparaît dans certains contextes organisationnels
Il est fondamental quand on étudie un cas de harcèlement (réel ou supposé) de se pencher sur le contexte organisationnel dans lequel celui-ci s’est produit, plutôt que de limiter l’analyse à la relation ou aux facteurs de personnalité du « harceleur » et du « harcelé ». Sans cela, des faits similaires risquent de se reproduire. De fait, au niveau juridique, « L’infraction de harcèlement moral est devenue la sanction juridique du caractère pathogène sur les salariés de l’organisation du travail choisie et appliquée par l’employeur. » (Prieux, 2015)
De la même façon au niveau de la recherche, Leclerc (2005) dans une étude menée au Québec met en avant 5 dimensions organisationnelles favorisant l’apparition du harcèlement :
- La précarisation de l’emploi, avec des personnes qui pour ne pas perdre leur emploi, acceptent « des conditions de travail abusives au détriment de leur santé psychologique et de leur dignité » (pg.12)
- L’intensification du travail et l’autonomie réduite : les exigences de plus en plus fortes de productivité, la surcharge permanente constituent « un facteur de risque important pour la santé des personnes, mais aussi pour la qualité de la communication et le climat de travail. […] Les décisions se prennent sans consultation pour aller toujours plus vite. […] Les malentendus et les conflits surgissent sans qu’on trouve le temps de s’expliquer » (pg.13) .
- Les restructurations organisationnelles : lorsqu’elles sont menées de façon brutale, sans prendre en compte le facteur humain, génèrent des iniquités de traitement ainsi qu’une dégradation du climat.
- Des pratiques de gestion laxistes ou tyrannique : lorsque la hiérarchie n’intervient pas, ou banalise les problèmes, considérant que ce sont des problèmes relationnels, des conflits de personnalités et qu’elle n’a pas à intervenir.
- Le culte de la performance et l’appel à l’autonomie : phénomène très répandu dans les entreprises aujourd’hui, le culte de l’excellence (Aubert et Gaulejac, 1991), associée à l’injonction à être autonome, constituent un facteur favorisant le harcèlement pour celles et ceux qui ne parviendraient pas à atteindre les objectifs assignés. L’auteur cite l’exemple d’un salarié à qui l’on demanderait d’être autonome, et à qui l’on reproche ensuite d’avoir pris la mauvaise décision.
Le terme de harcèlement moral est utilisé pour désigner d’autres risques psychosociaux
La loi a eu pour effet de faire qualifier de harcèlement tout un tas de phénomènes se passant au travail. Souvent un salarié qualifie de harcèlement des situations dans lesquelles il éprouve un stress important, ou de la souffrance, qu’il attribue au mode de management. Le terme peut également être employé pour décrire des relations professionnelles dégradées, qui nécessitent certes d’être traitées, mais ne peuvent pour autant être qualifiées de harcèlement si l’on se reporte aux définitions strictes telles qu’elles sont données dans la loi.
Aussi je préconise généralement dans mes interventions de bien analyser les phénomènes en jeu, et d’utiliser des termes appropriés : tensions relationnelles, conflits … Sans cela, l’employeur souvent prend une posture de défense voire de déni vis-à-vis d’accusation de harcèlement, et il a des chances d’obtenir gain de cause si effectivement la situation de harcèlement n’est pas avérée. Il vaut mieux employer des termes plus justes, « entendables » par la hiérarchie, pour analyser le problème et rechercher conjointement des solutions.
Bibliographie sur le harcèlement
Prieux, M. (2015). Approches jurisprudentielles des RPS à travers les décisions et arrêts des juridictions judiciaires. Consultable sur http://www.souffrance-et-travail.com/magazine/presse/approches-jurisprudentielles-des-risques-psychosociaux/
Leclerc, C (2005). Intervenir contre le harcèlement au travail : soigner et sévir ne suffisent pas ». Perspectives interdisciplinaires sur le travail et la santé. Consultable sur : http://journals.openedition.org/pistes/3160
Aubert, N., Gaulejac, V. (1991). Le coût de l’excellence. Paris : Seuil.